Stéphanie Reiss est l’auteure du livre Eau. Un regard et des mots, publié le 25 novembre 2021 aux Editions La Martinière. Ce livre de photographie met à l’honneur des textes rédigés par l’auteure, mais aussi ceux de nombreux scientifiques, artistes, personnalités engagées. Son sujet, c’est cette molécule si précieuse, dont nous dépendons tous. Stéphanie Reiss nous présente ici son histoire, son œuvre, et son engagement pour la préservation de ce bien commun.
Stéphanie vous êtes photographe mais aussi ingénieure de formation. Dans votre métier vous vous concentrez sur des sujets essentiels comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En somme, vous exprimez dans tous les domaines une forte sensibilité environnementale. Pourriez-vous vous présenter, ainsi que votre parcours ?
J’ai commencé par faire des études scientifiques, j’étais passionnée par l’idée de révéler les secrets du vivant, sans abandonner l’idée d’explorer d’autres domaines. Je suis ingénieure en chimie, mais j’ai toujours gardé le regard ouvert sur d’autres rapports au monde. Ce rapport passe aussi par l’art, un rapport plus subjectif. J’ai imaginé et organisé les premières rencontres Art et science, à Paris, en 1997. J’ai invité des grands scientifiques, connus pour être des grands scientifiques, comme Pierre Gilles de Gennes (prix Nobel de physique), Louis Leprince-Ringuet (un des fondateurs du CERN)… J’avais montré que ces personnes avaient aussi une activité de création artistique, et j’avais complété cela avec une exposition au Palais de la Découverte dans laquelle des artistes travaillaient avec des paradigmes scientifiques. Je souhaitais faire dialoguer les disciplines. Et finalement la capacité à s’émerveiller, à rester curieux, c’est aussi le message de mon livre. Je souhaite que toujours, on se demande “pourquoi, et pourquoi pas ?” et que l’on cultive sa créativité, pour ainsi vivre bien en harmonie. C’est en faisant cela que finalement, je perçois des langages de la nature, qui passent par la beauté, et je ne peux que les partager. L’idée est aussi de, par la photo, donner envie d’apprendre de la nature
Qu’est ce qui vous a amené à la photo ?
Alors, je dirais que la photo ce n’est pas quelque chose qui s’est fait du jour au lendemain. Mon premier appareil photo, je l’ai reçu à Noël. J’aimais bien voir les choses autrement. Dès que vous mettez l’œil derrière l’objectif, vous changez de regard, vous voyez les mêmes choses, mais autrement. Mais si je devais dater cette passion, je suis allée visiter la Casamance en VTT. Là, j’ai commencé à prendre des photos, les imprimer en grand, et échanger avec des personnes qui m’ont dit que ces photos leur apportaient calme, sérénité, mais aussi joie et enthousiasme. Et puis les portraits m’ont beaucoup plu également, comme dans le cadre de mes reportages en Chine, au Népal. Dans le livre Eau, un regard et des mots au contraire, on est plutôt dans une forme de méditation active.
Finalement, Eau, qu’est ce que c’est ? Comment résumer ce vaste projet en quelques mots ?
L’eau c’est une molécule toute simple, mais emplie de mystère et de pouvoir, qu’on découvre au fur et à mesure. Elle est capable de choses étonnantes. Résumer ce livre, c’est difficile, mais je dirais que c’est une mosaïque d’hymnes et d’odes à une molécule fondamentale, première. Ce grand mystère de la vie vaut bien au moins un livre.
Vous aviez déjà publié un livre centré sur le vin, cette fois-ci c’est vers l’eau que vous vous tournez. Pourquoi ce choix ?
Je fais des photos d’eau depuis plus de 30 ans. Quand je fais du bateau, ou que je sois à terre, l’eau, je la ressens, comme une complicité. Il n’y a pas de raison rationnelle à tout. Que ce soit l’eau qui rigole dans une flaque d’eau, une cascade, les lacs, les nuages, la glace, l’Océan. Je suis chez moi avec l’eau. Et ce livre, c’est aussi une sorte de message. “Eveillez-vous, soyez curieux, admirez, et soyez vivants”. Il s’agit aussi d’un hymne à la beauté, qu’elle soit scientifique ou non. En ce qui concerne le vin, j’ai fait le livre en un an, j’ai écrit les textes, réalisé les photos et le reportage en suivant le cours de la nature. Ce rapport humble des vignerons à la nature m’a inspiré. Eux fabriquent quelque chose, mais la nature a le dernier mot. Il n’y a aucun rapport entre ces deux livres. Leur seul point commun, c’est ce rapport à la nature, sous toutes ses formes.
Dans “Eau”, vous avez fait le choix de mettre en exergue une approche à la fois scientifique, mais aussi profondément artistique, ce qui résonne particulièrement avec l’approche d’Ocean As Common. Selon vous, l’art peut être une porte d’entrée vers l’action écologique ?
Oui, à condition que l’art soit un médium qui transcende et qui élève ce qui est à l’intérieur de soi, que l’on ne connaît pas forcément. Et donc ça doit passer par l’émotion. Je crois qu’il y a une émotion universelle face à la beauté de la nature, face à un coucher de soleil par exemple. La beauté qui réside dans ces moments véhicule quelque chose qui fait écho avec ce qu’on a à l’intérieur de soi. L’art selon moi doit donner envie aux gens de regarder autrement, les mettre dans une posture plus gaie, plus enthousiaste et redonner l’énergie de se battre. Donc utiliser l’art : bien sûr que oui. Si nous pouvons éveiller des consciences, et des actes, c’est merveilleux.
Dans “Eau”, vous avez été amenée à rencontrer de nombreuses personnes. Pouvez-vous nous présenter cette démarche ?
Je trouvais intéressant de faire réagir des scientifiques aux photos artistiques d’une scientifique. Ils ont tous un lien avec l’eau, intime et professionnel. Ces différents rapports à l’eau permettent de percevoir cette multiplicité qu’est la vie. Je connaissais déjà certaines des personnes interrogées, grâce à mes précédentes expositions, mais j’ai aussi rencontré beaucoup de ces personnes. A chaque fois, je leur ai adressé une lettre, expliquant ma démarche. Ils ont tous accepté ! Tout le monde était enthousiaste. Lorsque tout était prêt, j’ai contacté l’éditeur. La Martinière a tout de suite dit oui.
On retrouve l’Océan bien commun de l’humanité à l’honneur. En quoi cette idée s’inscrit dans l’ouvrage ?
Je crois que souvent, lorsque l’on parle d’eau, on pense à l’eau douce. Or, l’Océan est inévitable quand on pense eau. Je lui ai donc dédié un chapitre entier “Océan, planète mer”, et on le retrouve tout au long du livre. Pour moi, il fallait avoir cet « Appel pour un océan, bien commun de l’humanité« , dans son intégralité, avec mes photos qui l’accompagnent. C’est une fierté aussi d’avoir pu contribuer au message d’Ocean As Common.
Chez Ocean As Common nous évoquons aussi le concept d’Aquasphère, qui met en exergue le lien entre l’eau et le vivant, et notamment l’homme. Qu’est-ce que ça vous évoque ?
Oui, il faut mettre en avant cette idée d’Aquasphère, et le faire toujours en utilisant l’émotion et la beauté, en portant ces messages, forgés au feu de la lucidité et de l’optimisme.
Selon vous, quelles sont les prochaines étapes si l’on souhaite préserver l’eau et ainsi l’Océan ?
Agir. Pour moi, les prochaines étapes, ce sont des évènements comme le One Ocean Summit. C’est aussi s’adresser aux jeunes ! Avec les enfants, avec l’éducation nationale. Nous pouvons étudier, organiser des sorties, voir ce qu’il y a dans l’eau, aller raconter des histoires. Nous pouvons raconter la naissance des molécules en faisant une histoire fantastique. Le livre est un début, nous pouvons en faire plus, pourquoi pas un film !
Un mot de la fin ?
Je vais reprendre un extrait du livre, dans lequel je fais parler l’eau.
“Je suis la source multiple. Je frôle l’infiniment grand, parle à l’infiniment petit, je suis le trait d’union de tous les commencements, je suis l’intention de l’univers, et réveille les vestiges sauvages blotties en vous. J’obéis avec sagesse à d’autres lois plus grandes, plus lointaines, plus larges, plus premières. Je vous porte pendant 9 mois et demeure en vos cellules. Votre instinct en héritage ressent les ondes de mon flux souterrain, et ce sont alors des frissons qui se lèvent le long de vos jambes de sourcier. Je suis le passeur de vie, et de ma mémoire s’ouvrent les découvertes ouvrant le champ des possibles au-delà même des géographies connues de vos savoirs. Ecoutez-moi, je suis le chant de vos jours. Je suis le vaisseau de l’émerveillement. Prenez soin de moi car je suis en vous, je suis vous.”